IL EST PARTI, LE PEINTRE
Il est parti, le peintre
Sa toile sous la main,
Il est allé au loin
Emportant les vers de ses dessins.
j’ai versé sur des lignes
Les larmes de mes yeux
Ternis et aveuglés
De tant d’indifférence.
Il est parti, le peintre
Sa toile est suspendue,
Je ne la verrai plus.
J’ai gardé en secret
Ses couleurs préférées,
Des ocres et des bleus,
Des ocres et des verts
Dont les formes m’emportent
Dans ce glauque univers
Que le peintre dessine
Au fil de ses tableaux,
Qu’il accorde en vain
Comme des partitions
Que tous les musiciens
Ecrivent de leur main.
Il est parti, le peintre
Et sa toile a déteint,
Plus d’ocres, plus de bleus,
Plus d’ocres, plus de verts…
Que le noir de ses yeux.
EVOCATION
Nous avons évoqué
Une nuit toute entière
Les Poètes et les Peintres
Qui ont illuminé
Toute notre jeunesse,
Nous ont accompagné
Quand nous étions enclins
A contempler le Beau
L’Idéal de ce monde.
Aragon déclamait
Son Amour pour Elsa.
Combien de couples encore
Comme Qays et Leila
La Terre comptera ?
Aragon qui pleurait
La splendeur de Grenade
Quand les peuples d’Orient
Portés par la Sagesse
Avaient illuminé
Les contrées Andalouses.
Ses fils ont survécu
A de terribles drames,
Picasso, l’exilé,
Peintre de Malaga
Nous offrit Guernica,
La toile, œuvre maîtresse !
Les couleurs de la guerre
Fratricide, meurtrière,
Font saigner le tableau
Chaque fois qu’un regard
Emerveillé se pose
Sur cette immense trace
D’un passé qu’on voudrait
A jamais inhumé
Mais qui réapparaît
Au travers de l’histoire
Comme ces vieux démons
Qui persistent et se dressent
A chaque coin de rue.
Lorca au chant profond
Qui n’a toujours de cesse
De crier au-secours
Afin que l’on déterre
Son corps enseveli
Par des mains sales et ternes.
Dans le silence obscur
Il hurle sa détresse
Du fond d’une sépulture,
Il supplie, il implore.
Neruda confessait
Qu’il avait bien vécu,
Qu’il avait survécu
A de si nombreux drames
Au détour de l’histoire,
Combattu l’ennemi
Au péril de sa gloire
Combien de fois souillée
Par des mains étrangères
Venues assassiner
Ses frères et camarades.
C’est l’heure de partir
Nous chante le poète
Vers ses contrées lointaines
Que Matisse a choisies
Après avoir tourné
Lors de nombreux voyages
Et découvert l’Orient
Fascination immense
Ses couleurs reflétant
Le sublime et l’étrange
Ses formes un véritable
Hommage à la Beauté
Qui résiste et refuse
De déplier ses branches
Même quand le vent violent
Souffle désespérément.
Ce Mistral de Provence
Que René Char exalte
Lui l’homme résistant
A la voix caverneuse
Qui frappa l’ennemi
De ses vers meurtriers
Mais qui n’hésita pas
A recourir aux armes
Quand l’endémique Peste
Envahit notre Terre
Et qu’il sentit ses pas
Se rapprocher tout près.
Nous aurions pu parler
Du Peintre Isiakhem
De ses portraits multiples
Où il tente en vain
De fixer le naufrage
Dans lequel a sombré
Ce peuple de légendes
Dont les plus beaux enfants
Prennent la fuite et pleurent
Ce pays tant aimé
Comme des fruits amers
Détachés de la branche
Trop lourde à porter.
Mais le temps est passé
Puis nous avons posé
Des jalons de distance
Pour ne laisser passer
Que l’infernal silence.
Solitaire, le Peintre,
Continue d’étaler
Ta gouache sur la toile
Pour encore des années
La poétesse jette
Sur ses nombreux cahiers
Les vers de sa douleur
Comme un cri de terreur !